Publié par riahim1 le

Deux histoires
Une équation pourtant si simple : Comment ? => Pourquoi ?
Quand j’entends les débats actuels sur le monde agricole, les éminents conférenciers, les docteurs en agronomie, les spécialistes et tout le tralala, ça fait des décennies qu’ils cherchent des solutions pour transformer l’agriculture. Celle-ci doit moins polluer, produire des aliments de qualité, diminuer drastiquement la consommation de produits chimiques, redevenir familiale, etc.
Je ne suis peut-être qu’un petit « cul-terreux » par rapport à tous ces grands Messieurs, mais la solution me paraît pourtant très claire. Au lieu de s’évertuer à vouloir répondre au « comment ? », comment régler le problème, ils ne s’intéressent jamais à la question du « pourquoi ? ».
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? La réponse est simple : la spécialisation des fermes et la chute des prix.
Deux petites histoires permettront de mieux illustrer la dégradation de la situation.
Jean et Claire sont à la tête d’une petite ferme d’une vingtaine d’hectares. Leur ferme est encore à l’ancienne, quelques hectares sont destinés à des céréales anciennes panifiables, le reste de la ferme est un bocage composé de petites pâtures parsemées d’arbres fruitiers et de haies. Près de la maison, quelques ares sont consacrés au maraîchage et aux pommes-de-terre. La totalité du lait des vaches est transformé en beurre et yaourts. Les céréales sont moulues au moulin dans la vallée et le boulanger du village fait du pain. Claire vend ses légumes et ses fruits au marché. Jean et Claire travaillent comme des forçats, ils ne se font pas riches, mais ils sont heureux. La diversité de leurs revenus permet de moins se tracasser ; s’il y a moins ou pas de pommes une année, le bon rendement des pommes-de-terre et des céréales viendra compenser la perte de revenu des fruits. Et l’année d’après, ce sera peut-être le contraire, ils crouleront sous les pommes, et ils les transformeront en sirop et en jus.
Jean et Claire travaillent au naturel, ils parient davantage sur l’addition de revenus moyens de chaque production en acceptant d’avoir des pertes que de faire une monoculture qui doit chaque année réussir à 100%.
Je romance l’histoire exprès, venez un jour de novembre dégueulasse récolter des légumes avec moi et je vous garantis que vous vous poserez la question habituelle « Mais qu’est-ce que je fous ici ?! aha ».
Prenons maintenant la ferme d’Edmond. La ferme de polyculture-élevage de ses parents, il n’en veut plus, trop compliqué à gérer. Lui ce qu’il aime bien, ce sont les gros vroumvroum de tracteurs et labourer la terre au plus profond. Il décide de vendre tous les animaux, d’arracher ses haies (puisqu’on le paie pour le faire !) car ça le gêne pour passer avec ses grosses machines. Un négociant en grains lui fait un beau contrat dans lequel il s’engage à lui racheter toute sa production de blé. Au début, tout le monde est content, tout va bien, Edmond voit la vie en rose, son travail est simplifié, il ne se tracasse pas des débouchés. Et puis d’année en année, les prix à la tonne diminuent et la fertilité des champs fait de même. Edmond se dit que s’il veut garder le même revenu, il va falloir augmenter les rendements. Comme il n’a plus de bétail pour le fumier, un autre gentil représentant vient lui jeter de la poudre aux yeux sur ses produits phares. Un peu de poudre de perlimpinpin en début de culture, un passage de fongicide après une période orageuse et hop, le tour est joué. Edmond se dit surtout que comme il ne peut compter que sur son chiffre d’affaire du blé, il n’a pas droit à la moindre erreur, ni à la moins bonne année. Il doit donc mettre toutes les chances de son côté pour réussir le maximum de tonnage : variétés hybrides et toute la pharmacie qui va avec pour maintenir en vie la culture et la faire pousser. Edmond est sous pression, il fait des bêtises, il achète un beau pulvérisateur flambant-neuf pour travailler plus vite, pour pulvériser plus car entre-temps, il a loué de nouvelles terres pour maintenir sa production comme au début. Edmond a un beau gros tracteur, mais il a un ulcère à l’estomac.
A part pour quelques-uns, je pense que n’importe quel fermier préfèrerait travailler comme Jean et Claire. Vous aurez compris que j’ai volontairement grossi le trait. Chez Jean et Claire, la situation semble idyllique, mais elle ne l’est pas toujours. La question de la diversité des revenus agricoles est de la plus haute importance.
Pour mes légumes, je n’ose imaginer la pression si je ne produisais que des carottes. Sur la trentaine de légumes que je produis, je sais qu’en fonction des années, j’aurai un quart des légumes avec une production exceptionnelle, la moitié avec des rendements normaux et un quart où ce sera médiocre. L’année 2018 était pléthorique pour les carottes. En 2019, alors que j’avais encore fait un meilleur travail avec un taux de germination parfait, une mystérieuse bête minuscule encore non-identifiée a décimé mes beaux petits semis. Sur certaines planches de culture, j’ai resemé avec succès par trois fois, mais rien n’y faisait, les plantules se faisaient dévorer. Comme vous l’aviez remarqué, à mon grand regret et au vôtre, la vente a été plus qu’aléatoire en 2019. Mes carottes occupent +- 1/7e de la surface chaque année. Vous imaginez celui qui a 50 % ou davantage de son revenu qui dépend de ses carottes. S’il travaille sans produit, la pilule à avaler ressemble plus à un suppositoire pour sumo qu’à une chique Ricola. Celui qui traite va peut-être limiter la casse, mais il aura empoisonné ses cultures.
Rares sont ceux qui « aiment » utiliser des produits chimiques. Attention, je ne suis pas du tout en train de faire l’apologie des phyto-agriculteurs. Notre Edmond, il sait déjà que sa marge bénéficiaire sur la tonne de blé est très faible, alors il fait tout ce qu’il peut pour la garder. Il est trop dépendant de sa monoculture de blé, alors il stresse et fait des bêtises.
Comme j’en parlais dans la newsletter de 2019, les agriculteurs sont à moitié responsables de leur situation et le retour de flammes qu’ils subissent depuis bientôt 20 ans est en partie mérité.
Les deux autres responsables sont nous-autres, les consommateurs et l’industrie agro-alimentaire.
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